Conseil d'État, 2ème et 7ème ch. réunies, 30 décembre 2016, N° 399779 - Automag.fr

Conseil d’État, 2ème et 7ème ch. réunies, 30 décembre 2016, N° 399779

# VITRES TEINTEES #FILM # DECRET N° 2016-448 DU 13 AVRIL 2016 # ARTICLE L. 311-1 DU CODE DE LA ROUTE #PV

« Vu les procédures suivantes :

1° sous le n° 399779, par une requête enregistrée le 13 mai 2016, l’association des professionnels du film pour vitrage (APFV), la société Artéos, la société Dam’s films, la société Auto glass concept et la société Tecfilms demandent au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-448 du 13 avril 2016 en tant que par ses articles 27, 28 et 46, il interdit à compter du 1er janvier 2017, l’usage et la commercialisation de films teintés sur les vitres avant des véhicules si le facteur de transmission régulière de la lumière n’est pas d’au moins 70 %.

2° sous le n° 400484, par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 7 juin et 5 décembre 2016, Mme H… A…demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-448 du 13 avril 2016, en particulier ses articles 27 et 28, ainsi que la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d’abroger ce décret et, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de suspendre l’exécution du décret dans l’attente de l’issue de la procédure qu’elle a engagée devant la Commission européenne.

3° sous le n° 400638, par une requête et deux mémoires complémentaires enregistrés les 14 juin, 13 septembre et 7 décembre 2016, M. G…C…, M. E…F…, M. D…B…, la société Car Tint Prestige, la société Danyfilm’s et la société Limitint demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler, pour excès de pouvoir de pouvoir le décret n° 2016-448 du 13 avril 2016 en tant qu’il comporte des dispositions limitant, à compter du 1er janvier 2017, le facteur de transmission régulière de la lumière du pare-brise et des vitres latérales avant des véhicules à moteur et instituant une nouvelle infraction en cas de non-respect de cette règle, en particulier ses articles 27, 28, 44 et 46 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

– la Constitution ;

– l’accord de la Commission économique pour l’Europe des Nations-unies concernant l’adoption de prescriptions techniques uniformes applicables aux véhicules à roues signé à Genève le 20 mars 1958 ;

– le règlement n° 43 de la Commission économique pour l’Europe des Nations-Unies portant prescriptions uniformes relatives à l’homologation des vitrages de sécurité et de l’installation de ces vitrages sur les véhicules ;

– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

– la décision 97/836/CE du Conseil du 27 novembre 1997 en vue de l’adhésion de la Communauté européenne à l’accord de la Commission européenne pour l’Europe des Nations-Unies concernant l’adoption de prescriptions uniformes pour les véhicules à roues ;

– la directive 2015/1535/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information ;

– la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur ;

– le règlement (CE) n° 661/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les prescriptions pour l’homologation des véhicules à moteur ;

– le code de la route ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Camille Pascal, conseiller d’Etat,

– les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Le Griel, avocat de M. C…et autres ;

1. Considérant que les requêtes de l’association des professionnels du film pour vitrage (APFV) et autres, de M. C…et autres et de Mme A…sont dirigées contre le décret du 13 avril 2016 modifiant certaines dispositions du code de la route relatives aux véhicules en tant qu’il édicte de nouvelles obligations relatives à la transparence des vitrages de sécurité des véhicules et assortit ces obligations de sanctions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 311-1 du code de la route :  » les véhicules doivent être construits, commercialisés, exploités, utilisés, entretenus et, le cas échéant, réparés de façon à assurer la sécurité de tous les usagers de la route./ Des décrets en Conseil d’Etat déterminent les conditions d’application du présent article.  » ; que les articles R. 316-1 à R. 316-10 du même code énoncent les dispositions techniques applicables aux organes de manœuvre, de direction et de visibilité des véhicules ;

3. Considérant que le premier alinéa de l’article R. 316-3 du code de la route prévoit que :  » Toutes les vitres doivent être en substance transparente telle que le danger d’accidents corporels soit, en cas de bris, réduit dans toute la mesure du possible. Elles doivent être résistantes aux incidents prévisibles d’une circulation normale et aux facteurs atmosphériques et thermiques, aux agents chimiques et à l’abrasion. Elles doivent également présenter une faible vitesse de combustion  » ; que l’article 27 du décret attaqué a remplacé les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de cet article par les dispositions suivantes :  » Les vitres du pare-brise et les vitres latérales avant côté conducteur et côté passager doivent en outre avoir une transparence suffisante, tant de l’intérieur que de l’extérieur du véhicule, et ne provoquer aucune déformation notable des objets vus par transparence ni aucune modification notable de leurs couleurs. La transparence de ces vitres est considérée comme suffisante si le facteur de transmission régulière de la lumière est d’au moins 70 %. En cas de bris, elles doivent permettre au conducteur de continuer à voir distinctement la route. / Toute opération susceptible de réduire les caractéristiques de sécurité ou les conditions de transparence est interdite. / Le ministre des transports fixe par arrêté les modalités d’application du présent article. Il détermine notamment les conditions d’homologation, y compris de transparence, des différentes catégories de vitres équipant les véhicules et, le cas échéant, les dérogations que justifieraient des raisons médicales ou des conditions d’aménagement des véhicules blindés. / Le fait de contrevenir aux dispositions du présent article ou à celles prises pour son application, à l’exception de celles relatives aux conditions de transparence, est puni de l’amende prévue pour les contravention de la troisième classe  » ; que l’article 28 du décret a inséré, après l’article R. 316-3, un article R. 316-3-1 ainsi rédigé :  » Le fait, pour tout conducteur, de circuler avec un véhicule ne respectant pas les dispositions de l’article R. 316-3 relatives aux conditions de transparence des vitres fixées à cet article ou à celles prises pour son application est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention donne lieu de plein droit à la réduction de trois points du permis de conduire. / L’immobilisation peut être prescrite dans les conditions prévues aux articles L. 325-1 à L. 325-3  » ; que, selon l’article R. 325-5-1 inséré par l’article 44 du décret attaqué,  » Lorsque le véhicule circule en infraction aux prescriptions de l’article R. 316-3 relatives aux conditions de transparence des vitres ou à celles prises pour son application, la décision d’immobilisation doit prescrire la mise en conformité du véhicule. / Dans ce cas, une fiche de circulation provisoire dont la durée de validité ne peut excéder sept jours, peut être établie (…)  » ; que l’article 46 du décret attaqué a prévu que ces dispositions entreraient en vigueur le 1er janvier 2017 ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

4. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la minute de la section de l’intérieur produite par la ministre que le texte retenu par le Gouvernement est identique au texte adopté par le Conseil d’Etat, sous la réserve de la simple rectification de deux erreurs de plume ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le décret n’aurait pas été pris en Conseil d’Etat doit être écarté ;

5. Considérant, en second lieu, qu’en vertu de la directive n° 98/34 CE du 30 juin 1998, codifiée et abrogée par la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015, les États membres doivent communiquer à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne ;

6. Considérant que par la décision n° 97/836/CE du Conseil du 27 novembre 1997, la Communauté européenne a adhéré à l’accord de la Commission économique pour l’Europe des Nations-unies (CEE-ONU) concernant l’adoption de prescriptions techniques uniformes applicables aux véhicules à roues ; que cette décision prévoit dans son article 4 la possibilité que certains règlements CEE-ONU soient intégrés dans le système de réception CE des véhicules et remplacent la législation en vigueur dans la Communauté ; que la directive n° 2007/46/CE établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur prévoit que lorsque la Communauté a décidé d’appliquer à titre obligatoire un règlement CEE-ONU aux fins de réception d’un véhicule, la directive particulière ou le règlement particulier remplacé par le règlement CEE-ONU est abrogé ; que le règlement (CE) n° 661/2009 du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les prescriptions pour l’homologation relatives à la sécurité générale des véhicules, modifié par le règlement (UE) n° 407/2011 du 27 avril 2011, dresse, dans son annexe IV, la liste des règlements CEE-ONU dont l’application est obligatoire ; que le règlement n° 43 CEE-ONU portant prescriptions techniques uniformes relatives à l’installation des vitrages de sécurité et à l’installation de ces vitrages sur les véhicules figure sur cette liste ;

7. Considérant que la norme de transparence imposant un facteur de transmission régulière de la lumière d’au moins 70 % résulte des spécifications techniques fixées par le règlement n° 43 CEE-ONU portant prescriptions techniques uniformes relatives à l’installation des vitrages de sécurité et à l’installation de ces vitrages sur les véhicules ; que, par rapport à cette norme, le décret attaqué n’a pas édicté de règle technique nouvelle qui aurait dû faire l’objet d’une notification préalable à la Commission européenne ; que le moyen tiré de la méconnaissance des obligations résultant de la directive n° 98/34 CE du 30 juin 1998 ne peut, par suite, qu’être écarté ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

8. Considérant, en premier lieu, qu’ainsi qu’il vient d’être dit la norme de transparence des vitrages imposant un facteur de transmission régulière de la lumière d’au moins 70 % pour le pare-brise et les vitres latérales avant des véhicules résulte des spécifications techniques fixées par le règlement n° 43 CEE-ONU ; que le décret attaqué a pour objet de faire respecter cette obligation, dans le but d’améliorer la sécurité de la circulation routière et de renforcer la répression de certaines infractions, en faisant en particulier obstacle à la pose de films affectant la transparence des vitrages et en édictant des sanctions ; que les requérants ne sauraient, par suite, utilement soutenir que le décret attaqué serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;

9. Considérant que si les requérants font valoir que le décret attaqué aurait pour conséquence d’interdire de façon générale la pose de films sur le vitrage des véhicules et porterait ainsi une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie, il résulte des termes mêmes du décret attaqué que ses prescriptions ne régissent que le pare-brise et les vitres latérales avant des véhicules ; qu’il ressort en outre des éléments versés au dossier que certains films disponibles sur le marché permettent d’accroître l’isolation thermique du véhicule tout en respectant l’obligation de transparence résultant de la norme internationale ; que, par suite, et en tout état de cause, les dispositions contestées du décret attaqué, prises dans le but de renforcer la sécurité routière, ne portent pas d’atteinte excessive à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que le décret attaqué est sans effet sur la libre circulation des personnes, n’institue pas de droit de douane ou de taxe d’effet équivalent et n’instaure pas de restrictions quantitatives à l’importation ; que les requérants ne peuvent, par suite, pas utilement se prévaloir des stipulations des articles 21, 30 et 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

11. Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte des dispositions de l’article L. 311-1 du code de la route que le véhicule doit être utilisé dans des conditions garantissant la sécurité de tous les usagers de la route ; que l’article L. 121-1 du même code prévoit que  » le conducteur d’un véhicule est responsable des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule  » ; que l’article L. 233-2 du même code sanctionne le fait pour tout conducteur de refuser de se soumettre à toutes vérifications prescrites concernant son véhicule ; qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que le législateur a prévu que la responsabilité pénale du conducteur puisse être engagée lorsqu’il conduit un véhicule qui ne respecte pas les règles techniques imposées par le code de la route ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 28 du décret qui prévoient que le conducteur est passible de sanction lorsque les vitrages du véhicule qu’il conduit méconnaîtraient le principe de légalité et de personnalité des peines ne peut qu’être écarté ;

12. Considérant, en quatrième lieu, que les dispositions du code de la route relatives aux vitrages de sécurité dans leur rédaction antérieure à celle du décret imposaient déjà une obligation de transparence pour le pare-brise et les vitres latérales avant des véhicules ; qu’en différant de six mois l’entrée en vigueur des précisions complémentaires apportées par le décret attaqué, le pouvoir réglementaire a édicté des mesures transitoires qui ne méconnaissent en rien les exigences résultant du principe de sécurité juridique ; que, par ailleurs, les nouvelles dispositions résultant du décret attaqué, qui seront applicables à compter de la date de son entrée en vigueur à l’égard de tous les véhicules circulant sur les voies ouvertes à la circulation publique après cette date, ne sont entachées d’aucune rétroactivité ;

13. Considérant, enfin, que les moyens tirés de ce que le décret introduirait une discrimination entre les consommateurs, porterait atteinte au principe de sûreté et porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ne sont pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;

14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation des requêtes ne peuvent qu’être rejetées ; que les conclusions des requêtes présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en conséquence, être rejetées ;

Sur les autres conclusions de la requête de MmeA… :

15. Considérant, d’une part, que si Mme A…indique qu’elle a adressé une plainte à la Commission européenne dont il a été accusé réception le 18 mai 2016, cette seule circonstance n’a pas pour effet d’imposer au Conseil d’Etat de surseoir à statuer sur la requête dont il est saisi ;

16. Considérant, d’autre part, que les conclusions tendant à ce que soit suspendue l’exécution du décret attaqué deviennent, en tout état de cause, sans objet, dès lors qu’il est statué sur les conclusions à fin d’annulation présentées par les requêtes ; qu’il n’y a, dès lors, plus lieu de statuer sur ces conclusions à fin de suspension ;

D E C I D E :

Article 1er : Il n’y pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de suspension présentées par Mme A….

Article 2 : Les requêtes de l’association des professionnels du film pour vitrage (APFV) et autres et de M. C…et autres et le surplus des conclusions de la requête de Mme A…sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association des professionnels du film pour vitrage, à la société Artéos, à la société Dam’s films, à la société Auto glass concept, à la société Tecfilms, à MmeA…, à M.C…, au Premier ministre et à la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.

M. E…F…, M. D…B…, la société Car Tint Prestige, la société Danyfilm’s et la société Limitin seront informés de la présente décision par la SCP Le Griel, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d’Etat. »

Obs. JB le Dall : 

http://www.maitreledall.com/2017/01/ce-30-decembre-2016-l-interdiction-des-vitres-teintees-a-l-avant-validee-par-le-conseil-d-etat.html

 

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